Belledonne ou Mauvaise donne?

Belledonne ou Mauvaise donne?

2023. Le Covid semble cette fois « loin » derrière nous. Pas mal de monde se rue sur les sentiers de Grande-Randonnée, pour expulser la frustration. Des vagues de touristes déferlent sur la côte et nous nous lançons, avec le camarade Jérôme, à l’assaut du GR 738. La Haute-Traversée de Belledonne a la réputation d’être escarpée et caillasseuse, très exigeante physiquement. A peine rentré d’Islande avec un petit rhume, j’enchaîne sur cet impitoyable roller-coaster, sur-empilant des dénivelés confinant au sadisme. Je ne le sais pas encore, mais du fait d’une bévue, notre seconde journée ira jusqu’à dépasser les 2200 mètres de dénivelé, dans des pierriers instables, quoique pas d’une affolante technicité. Et cette journée de marche me laissera sur le carreau. D’autant qu’une vague de chaleur cuisante s’abat sur la France, avec des pics à 43° prévus sur Grenoble. Pas de chance, c’est notre point de départ! On ne démarre qu’à 300m d’altitude… Seigneur, quelle déveine! Mais j’en reparlerai.

Ce fut donc la chronique d’un malaise annoncé: L’accumulation de la fatigue physique, due à l’enchaînement Islande, boulot et Belledonne, sans la moindre pause. J’ai trouvé le moyen d’en oublier mes bâtons dans la Micheline nous conduisant à Aiguebelle. J’espère que quelqu’un en aura profité!

L’un des Sept Laux, tant décrié par le site Altitude Rando, pourtant peu coutumier du fait. Voir fiche éponyme.

L’énigme du Sphinx: Suis-je moi ou sommes-nous nous?

Les tableaux de la deuxième journée sont ceux d’une vallée montagnarde élégante, sans être époustouflante.

L’une des rares cascades du parcours… Jérôme en verra une autre, mais à titre personnel, j’ai trouvé l’eau bien rare sur ce parcours

Coucher de soleil sur la Chartreuse dans l’un des gîtes non gardés de Belledonne

Les Sept-Laux, que je n’ai, hélas, pu admirer cette fois…

Vers les Chalets d’Arbaretan, nous évoluons à faible altitude (1800m) et la chaleur monte avec le soleil

En cette deuxième journée, les vues deviennent appréciables, faute d’être impressionnantes

Lac blanc, lac noir, lac vert… Quel est le nom de celui-ci? En tout cas, joli comme tout.

Cascade de la Pissoun. Encore un nom à coucher dehors (qu’on retrouve dans toutes les Alpes).

L’un des fameux Sept-Laux, invitant moins au plongeon qu’à la contemplation

Une belle chaîne se déploie, une belle flemme lui répond…

Flou alpistique

Jérôme guette le bouquetin

La Pissoun vue d’en bas…

Petit lac minouchet où ne pas faire la fine bouche

Les trois mousquetaires m’envoient un signe dans ma retraite Francilienne..

L’un des rares passages plats du jour 2

 

Au départ d’Aiguebelle, ma première constatation est la suivante: Il fait 41°. Mauvaise surprise, à peine lancés dans la montée qui se déroule pourtant à l’ombre des pins, je suis rapidement essoufflé, avec la gorge sèche et un mal de tête lancinant. Je me dis que ça devrait passer. Avec un peu d’effort et de transpiration, j’aurais un second souffle. Nous avalons mille-trois-cent mètres de dénivelé dans une très longue forêt de résineux. Un sentier n’offrant aucun point de vue, et conduisant dare-dare au fort de Montgilbert. Étape finalement raisonnable, dans l’absolu, si l’on fait abstraction du cagnard!

 

 

Le repas au gîte nous fait du bien, d’autant qu’on se fait vite des copains. La bonne humeur tourne assez vite à la franche rigolade. Hélas, un premier abandon se produit, en la personne d’un jeune-homme, blessé au pied. Nous lui souhaitons un bel été. Ces bonnes bouilles (ci-dessus), on les retrouvera au refuge suivant, mais je brûle les étapes. Après une nuit agitée, mal de gorge et nez qui coule, on se lève aux aurores. Salutation à la troupe, et on repart pour une étape importante. Les premiers milieux traversés offrent une copie conforme du jour précédent, avec un long prélude en forêt. L’immersion, décidément, m’apparaît compliquée. Bref, je joue les difficiles, mais ça m’emmerde un peu de ne pas me sentir embarqué! Pas même le clapotis d’un ruisseau pour vous émoustiller, le sifflement d’une marmotte. L’ennui existe bel et bien en randonnée, il ne faut pas croire. De même qu’il peut surgir au milieu d’une pensée, d’un jeu ou d’un poème.

Peut-être me suis-je désintéressé trop vite de cette gamme mineure de paysages, ou déshabitué de ces approches fastidieuses, de ces interminables montées sur des pistes larges à travers les sapins, peut-être suis-je devenu un enfant gâté, à force de bourlinguer dans les Canaries ou dans les Cerces dont j’ai tant vanté les mérites, presque à chaque fois qu’on m’en donne l’occasion, mais Jérôme partage cet avis d’une randonnée qui tarde vraiment à démarrer, ou qui n’en finit plus de commencer. Un bref instant, on tressaille de bonheur à l’idée d’entrouvrir les rideaux sur ces immenses chaînes voisines (en somme, la Chartreuse sur la droite, Belledonne à gauche), mais un voile de pollution ou plus probablement de chaleur, nous gâte le spectacle. Vils esthètes que nous sommes! Plus de vingt kilomètres parcourus, et toujours par un point de vue mémorable digne de ce nom! Diable, mais où est la Tarentaise? C’est un peu fort tout de même!

 

Enfin le panorama s’élargit; du balcon, nous contemplons les lignes ondulées bordant la vallée du Grésivaudan, et distinguons rapidement la vallée de la Tarentaise et ses versants épurés, puis le Mont Blanc, à partir du col du chalet d’Arbaretan. Nous entamons un bref passage en crête, entouré de cimes rocheuses. Puis le toit de l’Europe disparaît; orientée à l’est, la vallée se resserre sur un goulot herbeux. Définitivement… pas mon type de paysage! Je ne ressens toujours rien d’infini, de planant: En fait, on éprouve la présence de vallées surpeuplées autour de nous; qui plus est, nous n’évoluons pas assez haut pour surplomber ces chaînes adjacentes. Le panorama oscille du banal au bucolique. Ce sont finalement les espaces plantés et les (trop rares) bords de rivières qui nous distraient, encore qu’à ce stade, les points de vue de Jérôme et les miens se dissocient nettement. Par exemple, à force de coqs-à-l’âne, on en vient à se planter (peut-être inconsciemment pour pimenter l’assiette). Et où arrive-t-on? Dans un pierrier abrupte, quoique soporifique, n’offrant pas une vue sur quoique ce soit. Presque aucune surprise sur la route, même passé cet interlude, peu de cours d’eau, des massifs au premier plan quasi indistincts les uns des autres; des pierriers, encore des pierriers, toujours des pierriers; je n’ai que peu goûté l’ambiance des lieux. La difficulté du parcours n’est en rien compensée par sa beauté, mais ce n’est que mon opinion. Jérôme se montre beaucoup plus nuancé sur ce point (bon, il est vrai qu’il a choisi l’itinéraire, faut dire). Pour moi, le tracé de ce nouveau G.R. pose question. J’ai trouvé l’entame assez interminable, la suite plutôt moyenne, et à découvrir les photos d’une itinérance censée durer onze jours, j’ai l’impression de voir relatés deux-trois jours de randonnée. Sur ce point précis, je reste toutefois un peu partagé: Peut-on évaluer l’intérêt d’une randonnée de montagne à partir de photographies…? Ce serait un peu comme arguer être en mesure d’évaluer un film sur sa bande-annonce. Sauf que, dans ce cas précis, c’est comme si j’avais vu la première heure du film, et qu’il m’avait sévèrement gonflé. Ce qui me rappelle ma première vision d’Inland Empire, avec une rage de dent ascendante… « Je ne comprends rien, j’ai mal… raaah… »

Datant de 2017, il s’agit d’un fameux tracé de course en montagne, l’échappée belle, reconverti en sentier de grande randonnée. Ce dernier né m’a paru un peu artificiel pour toute sorte de raisons. Tout d’abord, le tracé lui-même. Cette obsession du dénivelé, sans cols vraiment spectaculaires, m’a quelque peu turlupiné. Ce petit aspect de la question est subjectif, mais, parole de passeur de cols, seulement jusqu’à un certain point. Quand je lis, par exemple, « un massif contrasté, parsemé de très nombreux lacs », je parlerai d’une présentation abusive des choses. Je n’ai pas vu l’ombre d’un lac les trois premiers jours. A ce que Jérôme m’a dit, le premier lac arrive le cinquième jour. Et nous avons doublé les étapes. Or, est-il sérieux de présenter cette traversée comme « parsemée de nombreux lacs ». Je n’ai rien lu de tel sur le tour du Thabor, pour prendre un point de comparaison, et nous en avons rencontré une vingtaine dans la même journée! Que dire des Pyrénées! Je repense à l’article incendiaire d’Altitude Rando sur les Sept-Laux. « On pensait trouver un environnement sauvage et de magnifiques plans d’eau turquoise! On n’a vu que des lacs pratiquement « à sec » (niveau estimé – 5 m par rapport à la côte maximale), de grandes étendues d’éboulis sur les fonds asséchés et des paysages largement « massacrés » par des barrages de béton, des câbles, des vestiges de pylônes, etc. S’agissant de ce parcours sur le Plateau des Sept Laux, le panneau d’accueil, au départ de Fond de France, indiquait pourtant « émerveillement garanti » ! Cela ne fait qu’ajouter à mon trouble, d’autant qu’il s’agit, sur le papier, du point d’orgue de l’itinéraire, ce que m’a confirmé Jérôme. Lequel semble n’avoir pas été incommodé par l’altération du site: A ce titre, les photos ne racontent pas la même histoire qu’Altitude Rando: Ils semblent flotter dans une sérénité alpine et constituent l’acmé de l’esthétique haute-montagne de cette itinérance. Oui, certes, mais la gêne n’en demeure pas moins: On ne nous ferait pas prendre des vessies pour des lanternes?

Un mauvais rhume m’ayant empêché d’aller au bout, je dois tout de même préciser que du point de vue de la convivialité, le GR 738 mérite plus d’un éloge. On sent une réelle fraternité sous-jacente entre les marcheurs et les coureurs s’étant lancé sur ces voies escarpées, par ces cols empierrés, éprouvant physiquement, et faisant ressentir une certaine solitude. La difficulté du parcours resserre les liens; les rencontres fugaces autour d’une table se multiplient pour se prolonger jusqu’au coucher du soleil, avec toutes les anecdotes savoureuses que cela suppose. Au quatrième jour, diminué physiquement, ayant frôlé le coup de chaud la veille, j’ai laissé l’ami Jérôme poursuivre seul le périple qu’il a ainsi pu documenter jusqu’à Vizille. Ses clichés relatent donc l’intégralité du parcours, y compris Fond de France et Sept-Laux qu’il me tardait de découvrir. Bon camarade, il m’a autorisé à les publier. En somme, si je reste un peu sur ma faim, vous l’aurez compris, son impression globale reste correcte. Je ne suis pas certain d’aller vérifier la véracité des affirmations d’Altitude Rando, qui, à ma connaissance, n’a jamais à ce point décrié une célébrité de la région mais, on ne sait jamais, si nous sommes de passage dans le coin… D’ici là, voici la description de mon acolyte, nuançant la déconvenue qui fut la mienne.

« Pas facile de trouver quelque chose d’intéressant à dire sur ce trek. Si encore c’était nul, on pourrait s’amuser à écrire un article assassin. Mais non, même pas. Ni nul ni génial, c’est juste un peu quelconque.

Pourtant, sur un plan sportif, j’ai été comblé. Ni trop dur ni trop facile, mais heureusement que j’ai doublé la moitié des étapes. Pour le temps, c’était quasi idéal pour moi, (je sais, il paraît que certains ont eu « un peu chaud » sur certaines étapes, moi, j’ai eu un peu froid au gîte des sept Laux) et le sens choisi nord-sud était le bon, la beauté et l’intérêt sont montés crescendo… mais pas si haut que ça. Quelques cascades, quelques lacs, quelques chamois, c’est bien, mais rien de transcendant non plus: C’est clair! On attend d’avantage d’une semaine de trek et nul doute qu’il existe pas mal d’itinéraires alpins bien supérieurs.

Alors, qu’est-ce qu’il manquait? Quelques surprises, quelques émotions esthétiques, des moments forts. Bon, ce n’est pas très grave. J’ai quand même fait quelques belles rencontres, humaines et animales, et passé quelques bonnes soirées dans des gîtes gardés ou non, bien conviviaux (exception faite des 7 Laux: Trop de monde). Allez un petit coup de cœur pour le lac et le chalet du Léat où j’étais bien tout seul (indécrottable solitaire) à profiter des eaux étonnamment chaudes du lac et du coucher de soleil, pas trop mal… C’est possible que le trek soit mieux à faire à une autre saison, avec plus de neige et une meilleure lumière mais je laisserai à d’autres le soin de le vérifier. »

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