La sérénité. Une énigme insoluble, une prédisposition mystérieuse de la psyché répondant à une infinité de facteurs incertains. Il existe pas mal de formules ou de potions qu’on vous vend pour l’atteindre. Mais d’ici que les planètes s’alignent, on aura plus tôt fait de s’enivrer à l’antique façon. Chaque année, au nouvel an, arrivent en tête de mes résolutions les matières suivantes: M’inscrire à un cours de Yoga ou de Taï Chi (à quoi une petite voix répond: « Tu n’es pas si vieux que ça, quand même… ») et puis l’adrénaline sportive fait le reste. Autre option, se flageller énergiquement: Dire du mal de soi, lâcher un maximum de vacheries, se rouler dans la boue avec délectation. Aux heures de pointe, Venise offre une belle occasion d’en vouloir aux autres d’avantage qu’à soi-même. A chaque coin de rue se dévoile un spectacle à ce point consternant, un concentré de bêtise humaine si pure, à laquelle on participe qu’on le veuille ou non, qu’il en devient naturel de rechercher la plus extrême solitude. Une vive poussée d’autosatisfaction nous envahit. Puis on se dit: Finalement, je suis une part du problème, pas la solution. Peut-on véritablement jouir des canaux torpides du Magistrato Alle Acque, dans une relative sérénité, sans avoir l’impression d’incommoder ces pauvres Vénitiens et de s’être, quelque part, fait rouler? Depuis que les habitants de la Sérénissime ont obtenus l’interdiction d’immenses paquebots de croisière, s’ébrouant dans la lagune comme de sinistres éléphants de mer, la guerre est déclarée!
Regardez-moi cette bande d’ahuris
Mais c’est pas possible… ils ont même trouvé le moyen de créer des embouteillages sur l’eau…
Précis de misanthropie: C’est le titre de mon prochain livre, qui se déroulera en Italie, à Venise!
Dieu merci, de temps en temps, on arrive à lever la tête sans avoir peur de se cogner sur un paquet d’andouilles
Et c’est assez joli ce qu’ont fait les andouilles du passé… Quinze ou seize générations plus tôt!
Mais le manège continue…
La foule est au spectacle… On se délecte du bonheur d’autrui. Amour gloire et beauté!
Et on s’étonne que les oiseaux nous fuient…
Enfin, pas tous… Certains poussins ont perdu leur instinct de fuite
A force de fréquenter l’humanité, on en vient à aimer les statues sans bras…
A l’ombre de ses pierres blanches, les rues sont noires de monde…
La comédie humaine: Quand Charon vous fait croire qu’il est votre copain…
Ah Venise… Elle me rappelle Philippe Sollers et d’autres têtes à claques impeccablement cultivées. Combien de Maoïstes fumeurs de cigares ne se sont pas pâmés devant ces gondoliers, et n’ont-ils pas senti la piqûre de la Muse leur pincer les vertèbres et les veines du cou, jusqu’à l’évanouissement.
Ici le moindre pont doit supporter chaque jour plusieurs kilotonnes de suffisance et de médiocrité…
Nouvelle embouteillage absurde dans ce ravissant égout (le gondolier au second plan chante faux)
Nous regardons avec envie l’île du Lido, qu’on imagine déserte…
Cette photo vous ment: elle fut prise un centimètre au-dessus du dernier cheveux humain.
Rétablissons maintenant la vérité des faits
Venise… Ville des amoureux… Ville des artistes…. Villes où même un rat tomberait amoureux d’un pigeon…
Et c’est alors que… Le miracle se produit. On se retrouve seuls ou presque. Dans un quartier un peu perdu, sans nom ou au nom oublié, dénué de commerces, de clients, d’amateurs d’art. On croise même quelques Vénitiens…
Les canaux aux eaux placides somnolent dans la chaleur torpide et indolore du midi…
Même les rares cafés sont désertés, sur de gentilles petites places ombragées
Et les navigateurs sont désormais des locaux, qui font le boucans qu’ils veulent… Plus personne ne simule son syndrome de Stendhal, ni ne racle le fond de son granite en vous regardant d’un air antipathique…
Nous nous retrouvons soudain absolument seuls au monde, comme dans un épisode de la quatrième dimension
On pourrait croire que notre vœu a été exaucé. Que la ville est à nous. Et bizarrement, l’idée nous angoisse…
Nous allons interroger ce monsieur. Sait-il quelque chose? « Non, je ne sais rien, nous répond-t-il sobrement.
Même les églises n’attirent plus personne. A croire que plus aucun touriste ne quitte son hôtel, mais pourquoi?
Bon et puis finalement, foutu pour foutu, pourquoi ne pas visiter des palais gratos, sans personne aux basques
Deux petits personnages intriguant se cachent dans un océan de verdure, se rendant inaccessibles…
Mais bon dieu où sont les gens?
Bon sang, ce sacristain le sait peut-être?
il l’ignore le bougre, on se met en quête du voisinage…
On a la berlue ou quoi? Est-ce qu’un zombie va surgir de la vase?
On a beau appeler, nos cris restent lettres mortes. Et si quelques bateaux circulent, ils semblent pilotés par des spectres
Où se cachent-les gens? Crénom!
Puis, vient la nuit
Blague à part, on arrive toujours à se faufiler dans les coursives (et les coupes-gorges) de la merveilleuse cité. Cela demande de l’exercice: On ne s’improvise pas funambule en un claquement de doigts. La chose exige une persévérance et un équilibre hors-pair. En un sens, l’expérience consiste à attendre l’ouverture. Ce que nous avons fait. A noter qu’aux premiers jours du printemps 2024, l’accès à Venise va devenir payant. Bravo, force à vous les Vénitiens! Défendez-vous contre nous! Un jour viendra où nous ne viendrons plus! Et nous en serons réduit à rêver Venise!