L’Ubaye nous fascine, l’Ubaye nous résiste. Et finalement, l’Ubaye nous échappe. Comme Tantale croyait saisir un fruit alors qu’il ne palpait qu’une chimère, cette grande vallée (correspondant à un tout petit massif) peut s’apparenter à un supplice divin: Il semble y avoir quelque chose entre nous, une sorte d’électricité statique. On essaye, on essaye, mais ça ne veut toujours pas. L’autre fois, c’était un défaut dans ma chaussure, cette fois c’est au tour de Najate d’être rattrapée, rappelée en urgence à domicile. La santé d’un proche passe avant tout! Quoiqu’il en soit, toutes nos escapades là-bas tournent court. Il nous faudra une troisième tentative pour enfin découvrir le lac des neuf couleurs, les cimes abruptes du Parpaillon et les Aiguilles de Chambeyron, au-dessus de Maljasset, le superbe vallon de l’Oronaye et le Bric de Rubren, pour ne parler que des aspects les plus fameux. Consolons-nous tout de même: Nous aurons eu le temps de randonner chemin faisant, puis d’évoluer en autostop suite à une panne à travers l’auspicieuse vallée. Entre les villas Mexicaines de Jausiers, son église baroque trop méconnue, les alpages soyeux sous le col de la Bonnette, les cascades de Costeplane et l’inoubliable montée au col de la Cayolle, tout n’aura été qu’enchantement, renforçant la puissance du fantasme que tend à devenir à nos yeux cette contrée. Les noms si évocateurs du Pas de la Cavale, du Lauzanier, du lac des Sagnes, ou encore du lac du Roburent, résonnent encore en nous comme autant de lueurs en suspension, devenues familières à force de renoncements et de voltefaces. Chatouillant le Mont Pelat, l’Argentera et le Piémont par les Alpes Cottiennes, ce pays nous aura montré que les valeurs d’entraide existent dans les endroits les plus reculés. Étant tombés en panne, nous avons pu compter sur la bonté des gens. Encore tout récemment, j’apprenais l’existence du sentier Roberto Cavallero, parcours de crêtes engagé, et je me figurais crapahuter là-haut, sauf qu’en fait de crêtes, nous aurons goûté à la gentillesse d’une demi-douzaine d’anges gardiens que nous tenons à remercier, sans qui ce mauvais vent ayant soufflé sur nous (et nos semelles) aurait pu nous voir chavirer.
Le vallon du clou par le Monal-Lac noir, lac verdet, lac blanc
Notre périple débute à Sainte-Foy-Tarentaise, dans l’idyllique vallon du Clou. Traversons l’immuable et paisible hameau du Monal, site classé composé de chalets du XVIIIème. Nous longeons coup sur coup le lac du Clou, le Verdet, puis le Brulet, manquant de peu le lac Noir. Dominés par l’Argentera et la Foglietta, nous entamons une dernière grimpette à 2900m pour découvrir le lac Blanc, baignant dans une sérénité glaciaire et parachevant un tableau sublime. Au retour, petite surprise dans la gorge, juste sous le barrage du Clou: De superbes vasques calcaires abritent une cascade!
Dos aux glaciers de la Balme, on passe par plusieurs hameaux charmants, depuis le Chenal, jusqu’à atteindre le Monal.
Un fermier du cru, élevant chèvres et brebis, propose du fromage, issu du lait de ses biquettes. Soyez plus malin que nous: Prévoyez des espèces!
Le Grand Bec et le Dôme de la Sache nous accompagnent au fil des pas, surplombant l’humble Lac du Clou…
Sur ce parcours grandiose, nous sautons de lacs en lacs. Dans l’ordre, le Clou, le Verdet (qui sont 3), le Brulet, le lac Blanc. D’autres encore n’ont pas de noms, ou peut-être des noms Italiens: Celui-ci est à la frontière de nos deux pays.
Après avoir dit à Najate: « Ouais, on est fatigués. Enfin, on devrait plus parler de lassitude, parce que notre corps sait que cette marche a donné tout ce qu’elle avait à donner », je tombe sur cette merveille de la nature: Ces vasques de travertin érodées par la force de l’eau, lâchée d’un barrage situé à peine quinze mètres en amont. Ce spectacle inattendu me laisse pantois, et je descends prudemment la gorge, tandis que Najate poursuit la ballade.
Chose étonnante: Aucun topo-guide ne mentionne cette cascade, pourtant tout à fait pittoresque.
La pointe des fours depuis le pont des neiges
Le lendemain, la sérendipité prend tout son sens. Une météo incertaine et des erreurs de réservation effacent tout bonnement de notre esprit la grande Sassière initialement prévue. Finalement, nous oublions sans regret l’aiguille prestigieuse, et nous lançons dans l’ascension du Pélaou Blanc, que nous ne ferons finalement pas, parce que… Rien ne se passe jamais comme prévu. Et si nous ne faisions tout ça que pour nous améliorer dans l’art du lâcher prise?
On quitte La Rosière, direction; Col de l’Iseran
Nuée de cairns au col de l’Iseran
Premier lac du jour
Du haut du col, côté Vanoise…
Côté Maurienne…
Tout le long de ces crêtes aériennes, quoique peu vertigineuses, se décline une multitude de « petits » 3000, tels que la Pointe de Méan Martin, de telle sorte que la combe de la Jave a gagné le surnom de « Combe des 3000 faciles ».
Jamais atteint une altitude de 3000m plus promptement qu’en cette matinée du 31… Le sentier en balcon qui s’en suit est de toute beauté. Par ailleurs, un jour comme celui-là, quand l’orage gronde au loin, il est bien rare d’avoir le temps d’arpenter de si somptueuses crêtes. Quant aux changements de programme inopinés, c’est la lumière qui en a décidé ainsi: L’éclairage sur le lac glaciaire était bien plus probant de ce côté-ci! Ainsi la Pointe des Fours remplaça le Pélaou Blanc! Pour résumer, au lieu de gravir l’aiguille de la Grande Sassière, et à l’exclusion du Pélaou Blanc (comme j’aime répéter ce nom à tout bout de champs), nous aurons vu la Pointe des Fours, affligée d’un nom à cuire le pain, mais tout de même croustillant…
Cascades et torrents sous le col de l'Iseran
Juste en contrebas du Pont des Neiges, nous improvisons une petite halte au torrent de la Lenta, avant que celui-ci ne se jette dans l’Arc, le long duquel nous découvrons de multiples cascades.
Une pause dej qui tombe à pic!
A défaut d’avoir la chance d’admirer l’Isabelle, je tombe sur un Grand Apollon
Cascade Saint-Benoît
La pluie commence à tomber sur la Haute-Maurienne. Nous roulons jusqu’à Avrieux où nous débusquons cette merveille:
Fort Charles-Felix (Urbex)
L’intrigante ruine se confondrait presque aux cimes blanchâtres qui lui servent d’écrin
Es terrebilis locus iste
Sculptures sur paille de Valloire
Ne jamais passer par Valloire sans s’arrêter quelques minutes, faire honneur aux artistes de l’éphémère…
Toujours un plaisir, sur la route du Galibier, de repasser voir l’exposition s’y tenant chaque été, depuis presque un demi-siècle.
Crêtes de Peyrolles
Les crêtes de Peyrolles nous font de l’oeil depuis un moment, étant donné notre propension à revenir sans cesse à Briançon.
En milieu d’après-midi, nous relions Briançon à Jausiers, progressons tranquillement, jusqu’à ce que le message: « Panne d’injection » surgisse sur le tableau de bord, à hauteur du col de Vars. Un net défaut de puissance nous oblige à un arrêt d’urgence sur le bas-côté. La dépanneuse n’a pas le temps d’emporter nos affaires que mon pouce se dresse d’instinct, et un charmant couple d’Allemands en van nous dépose à Jausiers. Nous honorons ainsi notre réservation au gîte de l’Ardoisière.
Salso Moreno depuis le camp des fourches - Lacs d'Agnel
Le diagnostic du garagiste tarde à venir. Nous ne disposons que de quelques affaires pour tenir la journée et, contre bon cœur mauvaise fortune, nous quittons le gîte en direction d’on ne sait où, le pouce levé. A notre surprise, les premières voitures filent sans s’arrêter. Une vieille dame vivace nous pose à Lens, puis la scène se produit: Un couple de Manosque nous accueille comme deux envoyés de la providence. Ils décident de nous suivre, où que nous allions. Alors, j’improvise: Je leur explique vouloir me rendre aux lacs Morgons, dans le Salso Moreno. Ils y verront des dolines magnifiques et une faune abondante, si le coeur leur en dit. Daniel et Françoise abandonnent donc leur plan pour nous suivre au bout du monde. Pour ne pas changer, on se paume: Les lacs Morgon n’étant pas indiqués et le réseau fluctuant, nous nous orientons, avec nos camarades du jour, vers le col du Pas de la Cavale, tout au fond du Salsa Moreno. Erreur! Ce sont les lacs d’Agnel qui se dévoilent à nous!
Sous le col de Restefond, sur les berges du lac d’Estraupes
Départ de la rando au col des Fourches
Le très sauvage vallon du Salso Moreno, en Haute-Tinée
Les lacs d’Agnel
De très nombreuses marmottes batifolent dans les dolines
Cette promenade en Haute-Tinée, finalement assez courte, en compagnie de nos bienfaiteurs, fut de toute beauté.
Col de la Cayolle - circuit des lacs
Le lendemain, un message du garage nous cueille au saut du lit. Notre véhicule est prêt! Nous allons pouvoir reprendre le contrôle des opérations. Un large horizon nous attend. Olivier, notre Amphitryon, nous embarque aimablement à Saint-Pons, puis nous conseille d’aller au lac d’Allos via le col de la Cayolle, qu’il considère comme le plus beau col d’Ubaye. La route qui nous y mène est superbe, très impressionnante dans tous les sens du terme. La montée se ponctue de pauses contemplatives, au chevet de quelques cascades, plus ou moins accessibles à pied…
Arrivés au col de la Cayolle, nous entamons le circuit des lacs, en espérant pouvoir pousser jusqu’au lac d’Allos.
La sécheresse d’aout nous a offert un véritable champ de linaigrettes
A hauteur du lac de la Cayolle, nous rencontrons une harde d’étagnes, flanquées de leurs petits.
Une nuée blanche et glacée nous enveloppe. La visibilité diminue au point qu’on se détache de tout. Bye Bye lac d’Allos, commençons-nous à penser…
Que de belles rencontres aujourd’hui!
Cascade de Costeplane par le Lauzet et son tunnel
La cascade de Costeplane fut un choix de dernière minute, lié à la météo péteuse du jour. Après une nuit de déluge, on s’attend à des cieux tourmentés, peut-être à des orages, mais sur les hauteurs du Lauzet, nous goûtons tout particulièrement l’ambiance de cette petite chute méconnue, glissant sur un toboggan de tuf caramel.
Premier point de vue sur la cascade
Notre intérêt va croissant
Un immense tunnel (de 1600m de long) nous avale, vestige d’une voie ferrée qui n’a jamais servi…
Sortis de ces tréfonds obscurs, nous allons nous ressourcer au lac du Lauzet.
Aux sources du lac de Serre-Ponçon
Sur la route de l’abbaye de Boscodon, nous garons la voiture pour découvrir les demoiselles coiffées
Les demoiselles coiffées
Abbaye de Boscodon
Finalement, il a fait beau. La météo s’est trompé! La visite est dense, contrastant avec l’apparent dépouillement du cloître.
Des randonnées inopinées, décidées au fil de l’eau, de belles rencontres et des coïncidences, des pannes d’injection, des moments de doute, des orages qui n’arrivent jamais, d’invincibles élans vers ces toutes petites choses qui dirigent le monde (battements d’ailes du papillon, soif du moustique), des ponts romains et des tunnels sans fin, des nuages auspicieux, des villas Mexicaines dissertant avec des églises baroques et bien-sûr, des cimes déchirées, aux songes impénétrables. Voyager dans son propre pays: Vous ferez moins rêver en racontant votre périple, mais il y a tout de même des compensations: D’un, vous soutiendrez les petits commerces de proximité (en ce qui nous concerne, les maisons d’hôte et les auberges campagnardes). De deux, ce sera ça de moins en carbone envoyé en l’air, sous prétexte de voltiger au diable-vauvert (en Islande par exemple?). De trois, les bonnes âmes qui nous entourent dissertent dans la langue de Molière, et ça c’est agréable! Mieux: On découvre des accents, des patois, le parler chantant des Occitans; les villes ont des noms à peu près prononçables, le pain est délicieux, et jamais l’étonnement n’use du prétexte de l’exotisme…